Partir.
Tout seul.
Abandonner, juste un moment. De toute manière, il y a Teora pour veiller sur eux. Et puis t'as le droit de vouloir faire une pause. T'sais pas comment, ni pourquoi, ça t'as pris comme ça. T'as eu envie de voir comment l'Univers s'en sortait sans toi aux commandes. Tu voulais savoir comment ils s'en sortaient après t'avoir destitué.

Tu ne vas pas aller bien loin.
Tu ne peux pas aller bien loin.
Ton Empire te rappellerait.

Mais il faut que tu t'échappes, cinq minutes. Que tu poses ta couronne et que tu te souviennes de ces moments insouciants où tu n'étais pas encore roi. Tu grimpes la grille, et tu cours. Tu te diriges rapidement vers ce genre d'endroit un peu louche que Cara détestait. Mais vous y rencontriez des gens qui vous permettaient de vous garder au sommet. Les détenteurs de votre couronne.

Maintenant plus de couronne.
Juste toi.
Toi, avec tes veines nues, tes narines propres et tes bras sans bleus.

Il y a une fille parmi tous ces gens. Tu la reconnais vaguement, tu l'as déjà croisée quelque fois. Elle n'a pas l'air comme la plupart des midinettes qui suivent leurs petits copains et qui sont effrayées de l'ambiance assez masculine. Ca sent le tabac, ça sent l'alcool, mais tout le monde est sobre. Le bar est propre, mais un peu sombre. Ce genre de pub miteux dans lesquels seuls les habitués se rendent. Ce genre de taverne pour pirates.

Tu t'assieds à côté d'elle.
Tu commandes une bière.
Et tu la regardes.

Avec leur verres
Ils naviguent sur les mers
Ils respirent à plein poumon le bon bol d'air
Cet air marin ... c'est air qui donne bonne mine, un peu de rose sur leurs joues creuses.
Ils sont les pirates, les pirates qui n'ont qu'un seul ennemi : eux même.
Ensembles, ils grattent la moindre parcelle de bonheur, la moindre réjouissance à vivre.
Ensemble ils se sentent plus fort, moins seul.
Car chacun a déjà but la tasse parce qu'il ne savait pas la faire brasse.

Contre vents et marés
Ils rament , ils rament
D'une rage silencieuse, d'une rage bestiale
fou de désespoir, ils espèrent que les vagues ne vont pas les emportés, les enfoncer dans les abysses.
À moins qu'ils y soient déjà.

Alors ils continuent, ils ne s'arrêtent plus en chantant des chants qui vont rugir les vagues.
La tempête est éternelle, elle les arrache, sans relâche à leur moment de paix.
Elle les frotte aux orages.
Les empêche d'atteindre le rivage.

C'est pour quoi ils sont dans ce pub,
pour se noyer dans l'océan de l'oubli
Ensemble,
Contre vents et marés.

Baptiste est avec eux,
son corps maigre est posé sur une des chaise en bois,
Il lance des ciels bleus aux gens , leur disant qu'ils peuvent venir à sa table,
Qu'il n'y a pas de tempères à l'horizon.
C'est là que deux personnes font leur apparition,
Une fille & un garçon
un garçon & un fille
Ses jambes se lèves et avancent jusqu'à eux
Un sourire d'un océan profond est plaqué sur son visage
Il ne dit rien, ils les observent en attendant que quelqu'un parle,
que quelqu'un déverse son eau et revienne à la vie après s'être fait engloutir par le montre qu'est la mer. Elle a d'ailleurs été clémente, elle l'a recraché.

Assise dans l’odeur de l’alcool et des cigarettes Eugénie attend sa bière.
Autour d’elle ils sont nombreux. Ils sont masculins le plus souvent.
Certains sont vieux et sales, imbibés d’alcool jusqu’aux os.
D’autres sont jeunes et cons.
Elle aime cette ambiance feutrée. Elle aime ces faux loups de mer.
Leurs histoires sans fin, leurs exploits inventés.
Elle aime les écouter parler. Parfois si ils viennent la faire chier elle les remet dans le droit chemin en leur assenant sur leur vieille gueule trop ridée. Un poing bien mérité.

Mais ce soir ce sera peut-être différent.
Différents parce qu’il y a ces deux garçons qui viennent s’asseoir à côté d’elle en silence, l’un après l’autre.
Comme une louve aux aguets Eugénie se méfie. Elle se méfie trop souvent des loups solitaires.
Le premier elle le connaît de vue. Et le second elle semble avoir déjà croisé ses yeux bleu océan. Elle sait d’où ils viennent. Et surement que comme elle ils n’ont pas le droit d’être là. Mais quand on a 16 ans ou 17 ans rien ne nous est interdît. Le monde entier est à nous. On décide d’où on va quand on veut.

Puis deux bières sont posées avec fracas sur le comptoir. Elle prend la sienne et en boit une gorgée. Elle se lave de tout ce qui s’est passé là bas. Elle voudrait passer à autre chose. Ne plus être enfermée.

Il faudrait qu’elle parle. Mais elle ne sait pas vraiment quoi dire. C’est dur de parler. Elle a envie de leur parler, de rentrer dans leur silence. De le partager avec eux. Mais Eugénie elle n’est pas douée pour parler. Eugénie tout ce qu’elle sait faire c’est taper. Elle parle mieux avec ses poings qu’avec des mots.

Alors elle tente un truc. Un truc con. Mais si ils sont venus là c’est peut-être pour ça. Autant poser la question.

Faut que je dise quelque chose ?