aujourd'hui j'ai huit ans.
les mots qu'on m'avait appris ont disparus,
j'ai du mal à faire des phrases construites comme il faut.
T'aurais voulu être un poète, t'aurais voulu savoir jouer avec les mots.
Mais ce sont eux qui jouent avec toi.
Quelques rigolades. des disputes. puis, ils t'ont trahi. ce sont des armes. ils te blessent, ils te tuent.
T'aurais aimé avoir des potes. des vrais. des gens à qui parler quand t'en as envie. quand t'as l'impression que tu vas éclater. T'es pas capable d'exprimer tes émotions à travers les arts. l'art, c'est beau.
Mais toi, t'es pas comme l'art.
Des fois, tu montes sur le toit. tes parents veulent pas. tes parents veulent rien. pas de sortie, pas de télé, pas de dessert, pas de vie.
Pas de toit dans la nuit froide.
T'es couché. il fait noir. tu respires. c'est déjà ça.
Tu regardes le ciel. les étoiles. ptêtre que quand on meurt, on devient une étoile. ça te plairait bien. c'est joli, les étoiles. c'est beau. c'est gentil, de loin. mais quand on s'en approche, c'est plein de feu. ça explose. comme toi.
Dis, Maël, c'est quoi ta couleur préférée? t'en as pas? ah bon.
T'écoutes de la musique? t'aimes ça? comme tu veux.
La musique, t'en as des tonnes de morceaux. tous là, stocké dans cette petite boîte. mais y'a aucune chanson que t'aime. chaque jour, tu les passe en boucle. y'a rien qui t'accroche, y'a rien qui t'attire. c'est que des notes. c'est pas beau.
Des fois, il fait tout noir et ça te fait peur.
T'étais pas un méchant gamin. t'aimais dessiner. les crayons de cire, qui fondent au soleil en plein mois de juillet. c'était beau. tes parents étaient fâchés. le parquet blanc maintenant coloré comme un arc-en-ciel. un tableau de cire. toi, t'as aimé ça. tu pouvais pas en détacher tes yeux.
Et tes parents, qui te forçaient à nettoyer. effacer. suprimmer cette création du soleil et des crayons. t'avais laissé traîner les crayons. tes parents te le reprochaient. moi toi, t'en étais fier.
Dis Maël, ton t-shirt, il te va super bien. tu bloques. à l'extérieur, tu dis merci. mais toi, ça t'a fait plaisir. c'est toi qui l'a choisi, ce t-shirt. tu le trouvais beau. et les autres aussi le trouvaient beau. sur toi. alors ça voulait dire que sa beauté avait déteint sur toi. t'étais content. ça t'a fait sourire, ça t'as mis de bonne humeur.
Maël? Ah, tu veux parler de ce loser? froid. chaud. comme si tu venais d'avaler un trou noir. tu n'as rien à gagner. t'as rien perdu. donc t'es pas un loser. du moins, c'est ce que t'essaies de te dire. mais c'est pas pareil. les autres ils le savent pas. les autres, ils vont t'abandonner, te planter la. partir sans te jeter un dernier regard.
tout sauf ça. tu veux pas rester derrière. les autres filent et toi tu rampes encore dans la poussière.
Tu veux pas qu'ils partent. qu'ils arrêtent de se soucier de toi. alors t'acceptes de jouer leur jeu. tu fais pas de vagues. à la maison, tu finis ton assiette, même si t'as pas faim, même si tes entrailles te font mal. passé onze heures, t'éteins la lumière. mieux vaut ça que de rentrer à la maison et voir un petit mot sur la table. apprendre que tes parents se sont tirés. non, ça valait mieux pas y penser. les cauchemars, c'est moche. faut les chasser. t'as fait des crasses aux autres. c'était tes potes qui le voulaient. c'était pas des vrais potes. mais c'était comme si. alors fallait pas qu'ils partent eux non plus. tu t'es collé à eux. toujours en orbite. tant qu'ils partaient pas, tout allait bien.
Des fois, tu rêves d'une belle planète. comme on voit dans les livres pour enfants. sur les graffitis, sous les ponts. un monde où tout le monde se tient main par la main. où l'argent, on s'en fout. t'aimerais ça. ça te plairait. ça serait beau.
L'autre jour, t'as pas trop compris. il faisait noir. t'étais pas dans ton lit. faisais trop noir pour lire l'heure sur ta montre. t'étais au parc. le jour, on dit aux enfants de faire attention. on leur dit que s'ils trouvent des seringues, ils doivent avertir les profs. parce que y'a des gens qui font des mochetés la nuit.
Et toi, t'étais là, avec un bidon d'essence dans la main. une allumette dans l'autre. c'est bizarre, une allumette. c'est petit. ça se casse facilement. et pourtant, ça fait du feu. le feu, c'est puissant. c'est fort.
Alors t'as jeté l'allumette dans la flaque noire. un mur de feu s'est élevé devant toi. c'était beau. c'était magnifique. t'avais jamais rien vu de tel. les flammes étaient vivantes. elles dansaient sous les étoiles. c'était un beau spectacle. t'as peut-être versé une larme. il faisait chaud, il faisait bon.
Et tes parents, qui pleurent à leur tour.
qu'est-ce qu'on a fait pour qu'il tourne comme ça? mais t'as rien fait, maman. c'est pas votre faute.
C'est toi qui a trop eu peur. au début, tu voulais pas mettre le feu. on t'y a forcé. toi, tu voulais pas que tes potes te laissent comme ça, seul. et au final, t'as bien fait. sans ça, t'aurais jamais vu la plus belle des toiles. plus belle et plus vraie que celles dans les musées. les musées, ça fait longtemps que tu les fréquente plus. plus le temps. un jour, t'auras ton musée. t'afficheras les oeuvres les plus belles. les gens viendront de partout pour faire l'expérience de la beauté. toi, tu t'en fouteras des profits.
Toi, tu seras dehors, sur les bancs de parc. tu regarderas les étoiles et les planètes. et puis, tu t'enfuieras. t'iras chez toi. t'iras sous les abris d'autobus. tu t'enfuiras de toi-même. tu t'imprégneras de la beauté du monde. comme ça, toi aussi, tu seras beau.